samedi 12 mai 2012

Vieillir chez-soi?

Ma mère est déménagée tout près de chez-nous, il y a une semaine. Dans un immeuble qu'elle a choisi, pour personnes autonomes. Elle a refusé une résidence pour aînés avec tous les services. À 82 ans, elle a quitté sa ville natale. Vous dire tous les efforts qu'elle a à faire pour apprivoiser son nouveau milieu de vie, tient du miracle. C'est comme si moi, j'étais déménagée en Afrique. Dépaysée.

Je dois vous confier que ma mère a été diagnostiquée bipolaire, bien avant que cette maladie ait un nom. À l'époque on disait simplement qu'elle était en dépression. Je vous le dis pour apprécier le contexte et  évaluer son mérite. Depuis dix ans, elle est bien médicamentée, _ on a enfin trouvé le bon dosage _ à tel point que parfois je me surprends à penser que ce sont les autres qui sont bipolaires...

Un nouvel appartement, un décor différent, un ascenseur à apprivoiser, un autre pharmacien et tout un réseau de docteurs et de services sociaux à rétablir. En une semaine à peine, elle a fait des pas de géants. Elle répète: Je suis heureuse! Elle jouit d'un balcon, avec vue du quatrième étage au coeur du village, alors qu'elle habitait un demi sous-sol. Elle sait depuis deux jours, quelle clé est la bonne pour sa porte d'appartement, laquelle pour la boîte postale et celle pour l'entrée de l'immeuble. Elle a maintenant une chute à déchets dans le couloir et ce matin, elle s'est rendue pour la première fois, toute seule, chez une coiffeuse différente. Chaque nouveauté est un grand pas pour elle à franchir... Et une victoire!

Je suis très fière d'elle. Malgré toutes les difficultés, elle va de l'avant. Le fait qu'elle soit à cinq minutes de chez-nous, sa fille unique et de mon époux adoré, lui donne des ailes. Nous sommes allés la voir et lui apporter toute sortes de douceurs, chaque jour. À chaque fois, nous avons l'air du Père Noël, tant elle apprécie. Comme quoi la proximité affectueuse peut donner une énergie insoupçonnée.

Bien sûr cela prend de la place dans ma vie de couple. Mais j'ai la chance d'avoir un époux qui adore sa belle-mère... qui, elle, le lui rend bien. Ce qui est essentiel: avoir des gens qui nous aiment quand on vieillit, sinon le maintien à domicile, si à la mode, ne fonctionne pas. Ce sont les proches, pas nécessairement la famille, qui savent les petits détails pour aider à vivre, un jour à la fois.

Une amie m'a dit cette semaine: t'es une bonne fille. Moi je pense que je suis une bonne mère. Même si je n'ai pas eu d'enfants, j'ai l'attitude maternelle et dû aux circonstances, j'ai toujours ressenti être la mère de ma mère. Et aujourd'hui plus que jamais, quand je prends sa main dans la mienne, je me dis que c'est un juste retour des choses. Avant mes cinq ans, quand elle prenait ma main dans la sienne, j'étais son enfant... Nous sommes toutes une mère pour quelqu'un.

Et je souhaite pour mes vieux jours, trouver la personne qui saura prendre soin de moi comme sa fille.
Déjà, je me demande: qui sera là?


10 commentaires:

  1. Bonjour chère Diane,

    Votre billet m'a spécialement interpellée, car le grand âge, c'est ma tasse de thé en ce moment ... Pas forcément pour moi personnellement pour quelque temps encore, mais pour mes proches. Il faut savoir que je suis la cadette d'une fratrie de douze enfants dont les âges s'échelonnent entre 91 ans, ma soeur aînée, et moi, 71 ans. Il y avait sept filles et cinq garçons. Nous avons perdu une soeur à l'âge de 42 ans, un frère à 50 ans et un autre frère à 73 ans.

    Ma soeur aînée est entrée récemment, suite à une mauvaise chute qui lui a valu deux fractures, bras et jambe, dans ce que nous appelons un hôme. Elle est sourde et pratiquemet aveugle, mais elle a la "chance" d'avoir encore toute sa tête. Imaginer les affres de son entrée dans cette maison est impossible à qui ne les a pas vécues avec elle, ce qui a été mon cas. Elle a souffert mille morts, a guerroyé trois fois par jour avec le personnel, qui pourtant, sans être parfait, faisait de son mieux avec elle. A ce jour, elle est un peu apaisée, a apprivoisé son nouvel environnement, mais récrimine encore abondamment. Et je crois que celà ne changera jamais.

    Etre très proche d'elle m'a souvent valu d'être mise dans le même sac que ses "tortionnaires" et de me faire copieusement engueuler. Nous avons eu des prises de becs mémorables. Celle qui était valide (moi ...) quittait le champ de bataille drapée dans sa dignité et promettait bien que l'on n'y reprendrait plus de se laisser tourner en bourrique ... Deux jours après, j'étais de nouveau auprès d'elle, car nous avons en commun cette qualité-là, de manquer totalement d'esprit de rancune ! En famille, de tout temps, nous avons toujours pratique un humour un peu féroce. Pendant 18 mois, ma soeur n'a plus jamais souri, plus jamais ri ... C'était très dur et ça a fait d'autant plaisir quand c'est revenu. Maintenant, nous sommes capables de rire comme des baleines et de temps en temps, lors d'une de mes visites, nous nous envoyons de concert une petite liqueur de Bourgogne et du salami Citterio petite coupe ! Comme quoi !

    Evidemment, l'accompagner sur ce chemin a provoqué de ma part une réflexion approfondie sur le grand âge, la mort, la dernière ligne avant le grand saut dans l'inconnu. J'en ai déduis que lorsqu'on devenait vieux, il fallait anticiper : prendre à 80 ans les dispositions environnementales : appartement adapté, mise en place des aides nécessaires, dispositions diverses pour faciliter la vie. Si ma soeur avait accepté de le faire en temps et lieu, ce que ses frères et soeurs lui ont suggéré maintes fois, eh bien, elle serait encore chez elle, fort capable de se débrouiller avec notre aide, bien sûr. Nous ne la lui avons jamais comptée. Et je constate aussi que si on a été content de sa vie, c'est plus facile de devenir vieux.

    Maintenant, quand je vis un moment intense de joie ou de bonheur, je me dis "Ah ! divine parenthèse ... hop, au capital des bonheurs dont je pourrai mobiliser le souvenir lorsque ce temps-là sera passé".

    Et aussi, il ne faut pas éviter systématiquement de penser à sa propre vieillesse, à sa propre mort et prendre en conséquence les dispositions qui sont censées faciliter les choses. Mais en fait, je ne me fais aucune illusion, vieillir et mourir, c'est difficile ... et c'est au pied du mur qu'on reconnait le maçon. Quand mon frère C. est mort, il nous a donné à tous une merveilleuse leçon de vie ... et de mort, et nous aimerions tous partir comme lui, debout et les yeux ouverts.

    A vous chère Diane, un chaleureux merci pour votre présence épistolire et plein de messages amicaux.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chère Golovine,
      je suis toujours touchée de constater que vous me lisez depuis la Suisse et votre écriture a une telle élégance!
      Merci pour votre témoignage et je retiens votre phrase "si on a été content de sa vie, c'est plus facile de devenir vieux."
      Oui il faut tout mettre en place, selon nos capacités et nos moyens, pour vivre une belle vieillesse. Et laisser au passé les peines et déceptions qui sinon, nous minent le moral et la santé. Je vous embrasse affectueusement et j'ai déjà hâte de vous lire encore ici.

      Supprimer
  2. Bonjour Diane,

    Voilà un texte profond et bien senti ... qui fait réfléchir.

    Je crois que la vie moderne fait en sorte que même ceux qui ont eu des enfants ne sont pas assurés de les avoir à côté d'eux, une fois que ceux-ci seront devenus adultes, surtout que les familles d'aujourd'hui sont plus petites que celles qu'autrefois.

    Si nous ne voulons pas vieillir dans des résidences de personnes âgées ou esseulés, il nous faudra imaginer de nouvelles formules qui nous permettent de continuer à socialiser et d'éviter la solitude et d'être submergés par les travaux reliés à l'univers domestique.

    Par exemple, quand nous serons plus vieux, pourquoi ne pas vivre à plusieurs dans une grande maison ou dans un appartement spacieux, chacun ayant sa chambre, mais tous partageant les espaces communs et les tâches domestiques à la façon du téléroman La galère.

    J'ai une amie qui, devenue veuve dans la cinquantaine, songe vraiment à expérimenter cette formule lorsqu'elle sera à la retraite.

    Franchon

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @ Franchon, effectivement c'est un gros sujet et nous allons tous dans la même direction... L'idée de se regrouper selon nos affinités et surtout notre lien affectif est intéressante. L'entraide entre gens qui s'estiment et se connaissent, est rassurante. Chacun chez-soi, dans son intimité tout en étant à proximité les uns des autres est une avenue qui me séduit. Il nous reste à trouver un bon entrepreneur pour construire notre projet!

      Supprimer
  3. Ton texte est très intéressant. Je veux souligner que même si tu es une fille unique, ta mère peut compter sur toi et sur ton amour. Combien de personnes âgées ont des enfants qui les ignorent.

    Comme ce sujet est actuel pour nous qui prenons de l'âge. Pour moi, ie pense que le plus difficile c'est de ne pas savoir. Ne pas savoir si nous vieillirons en santé physiquement et intellectuellement. Ne pas savoir à quel âge nos capacités seront diminuées. Pour ces raisons, je trouve difficile de prévoir ce que je ferai, où je vivrai.

    L'idée de Franchon est très intéressante, il faut trouver des personnes qui ont les mêmes goûts, les mêmes intérêts, les mêmes besoins.

    N'ayant pas eu d'enfants, je ne sais pas qui s'occupera de moi si mon conjoint n'est plus là. Je devrai probablement m'en remettre à des personnes étrangères que je paierai pour s'occuper de mes besoins.

    L'avenir n'est jamais prévisible même si nous en avons un aperçu. J'espère vivre encore très longtemps en santé mentale et physique.

    Ghislaine

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chère Ghislaine, nous logeons à la même enseigne...
      C'est exact qu'on ne peut compter sur les enfants, pour toutes sortes de raisons.
      Vrai aussi que de ne pas savoir rend difficile la planification... Une amie à moi m'a dit après avoir lu mon blogue: ne t'inquiète pas, il y aura quelqu'un qui prendra soin de toi car tu penses aux autres. Ça m'a apaisée. Et je te retourne le compliment en ajoutant: si le temps joue pour nous, nous serons là l'une pour l'autre. On se donne rendez-vous dans 15 ans?

      Supprimer
  4. Bonjour Diane,

    Wow, mais c'est un vrai défi pour ta mère! Je dirais qu'habituellement, il y a 2 possibilités: la personne va adorer ou bien s'ennuyer à mourir et dépérir...

    Je trouve dommage que dans notre société de 'vite, vite, vite' les gens n'ont plus le temps de s'occuper de leurs vieux parents... Les gens, pressés de tout obtenir et tout essayer avant de mourir, délaissent leurs parents qui deviennent souvent une corvée pour leur progéniture, qui préfère que des étrangers s'en occupent... Tout le contraire des mentalités italiennes, quoi!

    On lieu de construire des 'maisons pour personnes âgées', peut-être devrait-on essayer des maisons 'tri-génération' qui incluraient les jeunes enfants, les parents et grands-parents, tous sous le même toit?

    RépondreSupprimer
  5. Bonjour Rachel, merci pour votre commentaire.
    Pour le moment, ma mère aime son nouveau milieu de vie, surtout parce qu'elle est près de chez-nous... Mais c'est une lourde responsabilité pour moi.
    On entend beaucoup parler de la politique du Vieillir chez-soi et du maintien à domicile mais je n'ai reçu aucun retour d'appel du CSSS et du CLSC, à qui j'aimerais demander des services, de l'aide. Si cela perdure, ce sera le sujet d'un prochain billet blogue...

    RépondreSupprimer
  6. Bonjour Diane,
    Bravo et merci pour votre beau billet.
    (et merci aussi à Golovine (que je connais) pour son témoignage.
    Au plaisir de continuer à vous lire

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour votre fidélité et ravie d'avoir deux lectrices en Suisse!
      À bientôt...

      Supprimer

J'adore vous lire!